Tome I - MELIN
- Chapitre VIII (fin)

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"A l'instant même ici devant cette fontaine, vous plairait-il d'assister à une fête donnée pour vous seule et que vous seriez seule à voir ?"

Viviane ayant battu des mains, en signe d'assentiment, Merlin traça un cercle autour de la fontaine, à l'aide d'une baguette de coudrier qu'à sa demande la jeune fille avait cueillie dans le taillis voisin, puis se rassit à coté de son amie. Au bout de quelques instants la forêt parut s'animer et Viviane en vit sortir une foule de chevaliers et de dames, d'écuyers et de damoiselles qui marchaient en se tenant par la main tout en chantant avec une merveilleuse douceur. S'étant rangée au delà du cercle dessiné par Merlin, leur troupe joyeuse se mit à exécuter des danses d'une grâce et d'une légèreté sans pareilles, tandis que des cornemuses invisibles scandaient leurs pas.

Non loin de là s'était formé dans les airs la semblance d'un château entouré d'un verger rempli de fleurs et de fruits odorants. Viviane ne songeait plus à interroger son maître, la nouveauté d'un tel spectacle la ravissait : la fête dura depuis none jusqu'à vêpres. Aux danses et aux champs succéda un déjeuner sur l'herbe que les dames et les demoiselles prolongèrent en devisant gaiement entre elles pendant que leurs compagnons allaient jouer à la quintaine dans les jardins de château.

Lorsque le crépuscule survint, chevaliers, écuyers, dames et pucelles se retirèrent, en dansant, vers le coeur de la forêt. Viviane les vit s'évanouir dans la pénombre, couple après couple, à mesure qu'ils pénétraient sous l'abri des arbres. Puis le château s'estompa dans la brume et disparut à son tour ; mais le verger demeura à la prière de la jeune fille qui l'appela "Le refuge de Toutes Joies" et ce nom est toujours le sien.

"Belle, il me faut partir, dit Merlin.

-Comment cela, doux ami ? ne m'enseignez vous aucun de vos jeux avant de me quitter ?

- Il me faudrait plus de loisirs que je n'en ai ce soir. Mais je ne tarderai pas à revenir... Alors je vous apprendrai les plus beaux de mes enchantements si vous me jurez d'être à moi sans y mettre cette fois aucune condition".

Mais, Viviane toujours souriante, lui répondit:

"Je me garderai bien, cher sire, de vous faire hâtivement une telle promesse. Ne suis-je pas déjà votre amie par le coeur ? Apprenez-moi ce que je désire tant savoir. Ma joie sera votre plus douce récompense en attendant qu'un jour peut-être..."

Et Merlin, doublement imprudent, eut la faiblesse de lui jurer qu'il lui enseignerait tous ses secrets pourvu qu'ensuite elle fut sienne.

Xavier de Langlais